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mercredi 13 février 2013

Brève chronique et recette du Punch

L'ingurgitation d'un punch flambé (une fois le liquide en bouche, prononcez "ponche") est l'une des plus antiques coutumes estudiantines. On le savoure avec du rhum ou du cognac.

Avant la Première Guerre mondiale

Notre bathyscaphe bordeaux et bleu a plongé dans les abysses du temps. Les plus anciennes traces du divin breuvage que nous ayons retrouvées à l'ULB remontent à 1859. Mais il est possible qu'on en buvait à l'ULB avant cette date.

Une carte porcelaine illustrée, datant de la fondation de la Société des étudiants de Louvain le 22 janvier 1848, montre en effet des angelots en train de boire du punch en flammes au milieu des étudiants.

Document aimablement transmis par Benoît Bacchus P.c.n.



Le 20 novembre 1859, les étudiants organisent un banquet pour le 25ème anniversaire de l'Université Libre. Entre les deux services (plutôt copieux), les convives ingurgitent un "Punch napolitain".

Menu du banquet anniversaire de 1859. Emprunté à Quevivelaguindaille.be

Au banquet offert le 22 novembre 1884 pour le cinquantième anniversaire de l'ULB, on trouve cette fois la mention d'un "Punch Galiztin" (du nom de la famille princière russe Galitzine). Ce punch, probablement basé sur une recette différente de celle 1859, est également versé entre les deux services.

Recto du menu du banquet anniversaire de 1884, illustré par Amédée Lynen.
On reconnaît le fronton des bâtiments de l'Université, rue des Sols.


Verso du menu de 1884. Emprunté à Quevivelaguindaille.be

En février 1888, le Cercle des Nébuleux joue sa revue Eendracht maakt macht à l'Eden-Théâtre. Dans ses Souvenirs d'un revuiste (1926), George Garnir explique qu'après la dernière représentation, "les étudiants se transportèrent en corps à la Porte Verte, une vieille baraque du Treurenberg, où un punch devait flamber en leur honneur et en l'honneur de leurs invités". Et l'auteur du Semeur donne la recette du fameux punch : verser dans de grandes marmites l'eau-de-vie blanche, le vin de Tours, le champagne, le thé, le sucre caramélisé et le cognac qui, savamment dosés et mélangés, doivent être bouillis à grand feu. Avant d'y mettre le feu.

Peu après, lors de la Saint-Verhaegen 1888, on a également servi un punch lors du bal donné à la salle Saint-Michel. Le journal L'Etudiant du 22 novembre 1888 explique qu'au moment où le punch flambe, "la lueur blafarde de l’alcool nécessite la chanson des Scorpions, qui accompagne toujours cette solennité". Si nous n'en savons pas plus sur la chanson des Scorpions (adorables bestioles qui détestent le feu), cette phrase de L'Etudiant laisse entendre que la tradition du punch est déjà ancienne.

Vingt ans plus tard, la description se fait plus précise sous la plume d'Alix Pasquier. Dans son roman Une rédemption, l'ancien étudiant en Droit de l'ULB, présente un punch servi lors d'un bal de Saint-Verhaegen vers 1910 : "l'éclat des lampes électriques vacilla tout à coup. Dans l'obscurité brusquement tombée, une lueur verte frétilla, ironique comme un feu follet, douteuse et grimaçante comme un reflet des fournaises infernales ; un silence oppressé régna quelques instants, et les étudiants dans l'ombre jetèrent des regards de braise sur un spectacle inattendu. Un groupe de femmes demi-nues avait surgi, follement fantasque, pour danser une ronde diabolique autour de la chaudière du punch, large hémisphère de cuivre rouge d'où montaient, en se tordant, de grandes flammes, fluides et claquantes. (...) Cependant les punchistes hautains, de blanc vêtu, avec le haut chapeau conique des alchimistes, s'avançaient à l'intérieur du cercle échevelé. Ils versèrent dans la cuve le contenu d'une fiole bizarrement enflée ; ils agitèrent le brasier qui ronflait et riait comme une vieille sorcière ; et toute une fantasmagorie d'étincelles jaunes, vertes, rouges, monta, secouée en colonne torse. Sur les murs, d'énormes silhouettes noires, agrandies jusqu'au grotesque, faisaient des signes cabalistiques ; la ronde des danseuses, se rapprochait et ralentissait avec une douceur respectueuse ; un choeur de voix graves sonnait, du fond de la salle enténébrée, scandant sur un rythme lourd l'hymne très lent : Gaudeamus igitur, juvenes dum sumus".

Etiquette de bouteille, par Plouviez et Cie (Paris), 1920.
Document transmis par Dominique Jullien.
Dégustez son excellent site : etiquettesderhum.free.fr

Preuve que les traditions voyagent : à la même époque, les étudiants français servent eux aussi un punch lors de leurs bals. En 1880, Charles Monselet note ainsi dans son poème Le Punch qu'"On offre un punch encore / Chez les étudiants : / Prélude à Terpsychore / Ce bol qui se décore / De jets irradiants."

"Ce que l'on boit - Le Punch". Gravure sur bois.
Composition allégorique d'Edmond Morin (1859 - 1937)
autour du poème de Charles Monselet intitulé "Le Punch" (1880)
A gauche, le pain de sucre de canne.
Document transmis par Dominique Jullien (etiquettesderhum.free.fr)

"Le Punch", poème de Charles Monselet (1880).
Extrait de la Gravure sur bois d'Edmond Morin.

Pendant l'entre-deux-guerres

Avant-guerre, le club des Sauriens s'était spécialisé dans la préparation du punch. En 1913, Et l'alambic ou La cornue enchantée, la revue organisée par le Cercle des Sciences leur consacre un couplet : "C'est nous les jeun's Sauriens, / On n' se r'fus' jamais rien, / En punch nous somm's experts, / Et en amour et en madèr'."

Les Sauriens ne sont sans doute pas les seuls à avoir assuré la transmission de la tradition du breuvage brûlant après la guerre 14-18. Néanmoins, ce sont eux qui préparent le divin breuvage lors de la Saint-Verhaegen de 1923, d'après la chronique du Bruxelles Universitaire.

On ne connaît pas la recette du punch mijoté à l'ULB à cette époque. Le vocabulaire employé par la presse estudiantine à ce sujet n'est pas très clair. Il semble que, dans les années 1920, le punch s'apparente à un vin chaud amélioré d'alcool fort. 

Ainsi, lors de la Saint-Vé de 1925, Bruxelles Universitaire indique qu'un "vin chaud Kastor (cru Verhaegen 1834)", sera servi à minuit après le Bal. Le compte-rendu des festivités du 20 novembre ne parle cependant pas de vin chaud mais bien d'un "punch servi pendant le Bal, qui a manqué fort peu d'être l'extrême-onction de nos camarades."

De la même manière, en 1927, le B.U. annonce un vin chaud servi à minuit, le soir de la Saint-Vé. Mais le compte-rendu de la journée précise "que bravant le flair des fiscaux et la frousse du patron, des mains subreptices y ajoutèrent une certaine quantité d'alcool."

Bien que, dans les années 1920, le punch soit régulièrement préparé le 20 novembre, on ne le buvait manifestement pas que ce jour-là. Il a également été servi lors d'activités baptismales, par exemple au baptême du Cercle des Sciences en 1925 et au baptême de l'Ecole des Mines de Mons de la même année (ce qui, en filigrane, indique aussi que cette tradition se pratiquait ailleurs qu'à l'ULB).

En tout cas, en ce qui concerne les réjouissances du 20 novembre, le punch est encore évoqué dans la chronique du Bal de la Saint-Vé de 1929.  

Il est enfin mentionné dans le Bruxelles Universitaire du 20 novembre 1938. Un rédacteur indique qu'un punch est servi cette année-là à la fin du baptême du Cercle Polytechnique. Après cette date, on perd sa trace.


Après la Seconde Guerre mondiale

Nous n'avons donc pas (encore) retrouvé de mention du punch en toutes lettres après 1938.

En 1930, le programme de la Saint-Vé publié par le Bruxelles Universitaire annonce (avec humour) la tenue de "jeux de Rhum" sur la place de Brouckère. Il est possible - mais pas certain - qu'il s'agisse en réalité d'un punch puisque le rhum entre dans sa recette.

De 1945 à 1955, les programmes de Saint-Vé publiés par le B.U. reprennent le calembour et indiquent - sans plus de précisions - que des "jeux romains" auront lieu sur la place de Brouckère.

Après 1955, la presse étudiante que nous avons dépouillée ne parle plus ni du punch ni des jeux de Rhum. Mais l'absence de traces écrites ne signifie pas pour autant l'abandon de la coutume...

Et aujourd'hui ?

Le punch est encore bien vivant dans quelques Sociétés belges ; surtout chez les étudiants néerlandophones, qui l'appellent Crambambuli. Notamment au 'T Vat, à Bruxelles.

On le sert encore à Mons, à la fin du baptême de Polytech. D'après un Poil montois, il existerait d'ailleurs une Confrérie du Punch. Réservée aux comitards et aux présidents des Cercles de la Faculté polytechnique de Mons, l'initiation de cette Confrérie les renverrait à l'état de bleu le temps d'une journée.

Enfin, il se pratique encore un peu partout en Suisse et en Allemagne. Mais, on s'en doute, la recette a légèrement évolué depuis le temps des Nébuleux. Le champagne, trop onéreux, a ainsi disparu des ingrédients.

Voici la recette qu'on l'on rencontre le plus fréquemment. Nous l'avons ajustée pour une dizaine de Camarades :

* Mélangez dans une grande casserole
3 bouteilles de vin rouge, de préférence du Bourgogne (qui sera plus doux et plus sucré),
1 litre de porto rouge,
36 cuillères à café de sucre de canne,
1 cuillère à café et demie de cannelle,
9 clous de girofle,
1 pelure et demie d'orange,
1 orange coupée en fins morceaux,
le jus d'un citron.
Couvrez et faites chauffer le tout à feu doux.

* Dans une seconde (petite) casserole, videz
1 bouteille de rhum blanc (à plus de 50°)
Couvrez et faites chauffer à feu doux.

* Lorsque les deux casseroles arrivent à ébullition, mélangez-les. Eteignez les lumières et faites flamber le punch. Avec une louche, mélangez prudemment le liquide brûlant : les flammes montent assez haut. Il ne vous reste plus qu'à entonner un chant de circonstance. A la fin de celui-ci, posez le couvercle sur la casserole pour étouffer les flammes. Servez chaud. Prosit !